Que cache la campagne de Ksenia Sobtchak ?
Fille du mentor de Poutine, elle incarne cette jeunesse dorée qui a tout gagné de l’effondrement du régime soviétique. Toutefois, comme candidate à l’élection présidentielle, elle critique maintenant le président sortant avec une véhémence sans pareille.
Est-elle une authentique opposante, ou bien un projet du Kremlin afin de redonner un peu de crédibilité à une élection gagnée d’avance ?
« Je crois que je n’ai aucune chance de gagner cette fois », a déclaré Ksenia Sobtchak en entrevue à CNN le mois dernier.
« Dans un casino, c’est toujours le casino qui gagne. Aux élections russes, c’est toujours Poutine qui gagne. »
— Ksenia Sobtchak
Ksenia Sobtchak sait parler à la caméra. Elle maîtrise les codes médiatiques. Et elle n’a pas peur de parler franchement.
La femme de 36 ans s’est présentée à l’élection présidentielle russe afin de porter à l’avant-scène des idées plus libérales, dit-elle. Elle considère que son pays a violé des traités internationaux en Crimée, dénonce l’absence de droits pour les LGBT, milite pour un rapprochement avec les États-Unis et l’Union européenne et propose une privatisation des sociétés d’État russes.
Toutefois, pour bien des Russes, Ksenia Sobtchak reste la jeune femme excentrique et provocatrice qu’ils ont connue à la télévision au début des années 2000, issue d’une famille très proche du pouvoir. Quand elle a annoncé qu’elle briguerait la présidence, on a crié au coup monté dans la population. Sa candidature, vouée à l’échec, ne serait autorisée (ou même encouragée) par le Kremlin qu’afin de renforcer la crédibilité de l’élection.
« Est-ce que Ksenia Sobtchak est une créature du Kremlin ? Ça ne m’étonnerait pas. Si j’en suis certaine ? Non. »
— Ekaterina Piskunova, chargée de cours en science politique à l’Université de Montréal
Proche de Poutine
Ksenia Sobtchak est la fille d’Anatoli Sobtchak, ex-maire de Saint-Pétersbourg et l’un des auteurs de la Constitution russe. Il a enseigné le droit à Poutine dans les années 70, puis est devenu son mentor politique. « Anatoli Sobtchak était en quelque sorte le guide spirituel de Poutine, explique Ekaterina Piskunova. Ce dernier insiste pour dire qu’il lui voue un respect infini. »
Sa vingtaine, Ksenia Sobtchak l’a passée dans le luxe. Figure de proue d’une jeunesse riche et célèbre en Russie, elle a animé des émissions de téléréalité, écrit dans un magazine de mode, joué dans des vidéoclips et posé pour Playboy. En Russie, où elle était souvent comparée à une Paris Hilton à la russe, elle était connue de tous, mais personne n’imaginait qu’elle se dirigeait vers une carrière politique. « Elle est associée à l’oligarchie, que la population n’aime pas du tout », remarque Ekaterina Piskunova.
Toutefois, en 2011, la vie de Ksenia Sobtchak change radicalement. Lors d’une manifestation pour dénoncer les fraudes électorales, elle est arrêtée, passe une nuit en prison et perd son emploi à la télévision nationale. Dès lors, elle participe à une émission en ligne qui s’oppose au régime. Ksenia Sobtchak se décrit depuis comme une journaliste politique engagée. Avant sa carrière à la télé, elle avait étudié en science politique.
En octobre 2017, elle annonce sa candidature à l’élection présidentielle. Elle tente alors de se défaire de son image et souligne qu’elle a beaucoup changé. Toutefois, une majorité de Russes ne voit pas en elle une présidente. « Il est facile de briser la confiance, croit Ekaterina Piskunova. La rebâtir, c’est beaucoup plus difficile. »
Partie de poker
« Dans un pays aussi autocratique que la Russie, pour se présenter à la présidence, il ne faut qu’une seule qualité : la bravoure. Les gens qui sont contre Poutine finissent leur vie en prison », déclarait Ksenia Sobtchak lors d’une entrevue musclée sur RT, une chaîne de télévision financée par le Kremlin.
Bluff ou sincérité ? Personne ne sait vraiment, mais ses critiques contre le président sortant – et la vieille classe politique russe – sont acerbes. « Candidate contre tous » est son slogan de campagne.
Selon les derniers sondages, ses appuis ne se chiffrent qu’à 1 ou 2 %. Cependant, elle croit que cette élection sera la dernière de Vladimir Poutine et qu’après un quart de siècle, il quittera le pouvoir en 2024.
Dans les entrevues qu’elle donne, Ksenia Sobtchak explique qu’elle prépare la Russie de l’après-Poutine. Elle espère que les prisonniers politiques y seront libérés, que le système de justice sera indépendant et qu’une économie libre sera encouragée.
Et que, peut-être, elle sera présidente.